Les chants dont les prisonniers texans rythment leurs gestes de travail ont-ils quelque chose à voir avec le geste fluide du luthier taillant un violon, celui de la scarificatrice bwaba ciselant les chairs ou celui de l'Homo erectus taillant un biface ?
Resserrant la vieille question des rapports entre le beau, l'utile et le nécessaire, ce dossier choisit de privilégier celle de l'esthétique du geste technique. En quoi un tel geste peut-il être jugé beau, et cette beauté tient-elle à des caractéristiques tangibles - régularité, rythmicité, économie... - ou à des traits plus impalpables ? La question est envisagée ici à partir de la distinction opérée par Hannah Arendt entre travail et œuvre.
Le travail - l'ensemble des tâches répétitives nécessitées par la survie quotidienne - est parfois sublimé par des chants ou des chorégraphies qui embellissent le labeur et allègent sa pénibilité. Tandis que l'élaboration d'une œuvre - c'est-à-dire la création d'un objet qui viendra s'ajouter durablement au monde - peut être esthétisée par un geste technique hautement maîtrisé. De Boas à Leroi-Gourhan, des auteurs ont lié la valeur esthétique d'un objet à la perfection de sa réalisation technique mais les contributeurs de ce dossier, qui s'étend de la Préhistoire au xxie siècle, et de l'Europe à l'Afrique, montrent que le geste technique est une composante à part entière du jeu social dans lequel il s'insère et que sa beauté ne se réduit pas à la maîtrise de règles formelles.
Sous la direction de Sophie A. de Beaune